Durabilité des entreprises : ce que révèle vraiment le rapport mondial 2025 de l’OCDE

Par Laurent Arnou

Une dynamique réelle, mais loin d’un basculement global

Le nouveau rapport mondial de l’OCDE sur la durabilité des entreprises arrive dans un moment étrange, presque paradoxal. Jamais les entreprises n’ont autant parlé de climat, de gouvernance ou de droits humains. Jamais elles n’ont autant publié d’indicateurs, de stratégies, de trajectoires d’émissions. Et pourtant, lorsqu’on regarde attentivement ce que l’OCDE met en lumière, on comprend que la mécanique de la durabilité avance surtout dans les zones déjà les plus sophistiquées de l’économie mondiale. La façade évolue vite. Le socle, lui, reste encore fragile.

L’OCDE s’est appuyée sur l’analyse de milliers d’entreprises cotées. À l’échelle des marchés financiers mondiaux, ces entreprises pèsent lourd. Elles fixent le tempo, attirent les capitaux, imposent les standards. Elles publient de plus en plus d’informations ESG et cette progression n’est pas cosmétique. Elle reflète une prise de conscience réelle, nourrie par la pression réglementaire, l’inquiétude des investisseurs, l’exigence croissante du public.

Mais cette photographie flatteuse masque un angle mort considérable. Une grande majorité des entreprises cotées dans le monde ne publie toujours rien. Pas un indicateur. Pas une trajectoire d’émissions. Pas une information sur leur gouvernance climatique. Le rapport montre ainsi une durabilité qui progresse en surface, sur les entreprises les plus visibles, mais peine à pénétrer l’immense tissu économique mondial.

La transparence progresse, mais sans changer encore la logique de marché

Le rapport montre une hausse nette du nombre d’entreprises qui publient des données sur leurs émissions de gaz à effet de serre, sur leurs engagements sociaux ou sur la composition de leur gouvernance. C’est une avancée indéniable. Elle améliore la capacité des investisseurs à comparer, évaluer, sanctionner ou soutenir. Elle crée un langage commun entre secteurs et régions.

Cette dynamique n’est pas anecdotique. Lorsqu’une grande entreprise commence à indexer la rémunération de ses dirigeants sur la performance durable, ce n’est pas qu’un signal interne. C’est un message adressé au marché, presque un aveu : continuer comme avant coûte désormais plus cher que de s’adapter.

Pour autant, le rapport souligne que cette transparence n’a pas encore modifié la logique fondamentale des marchés financiers. Beaucoup d’investissements restent orientés vers des activités incompatibles avec les objectifs climatiques internationaux. Les stratégies affichées cohabitent souvent avec des modèles économiques carbonés, sans qu’il y ait contradiction… tant que la rentabilité immédiate domine.

En clair, la durabilité progresse, mais la contrainte financière reste encore la grille dominante. Les marchés n’ont pas basculé dans une logique où la performance durable devient un critère aussi structurant que la performance financière.

Le secteur de l’énergie : un révélateur des tensions structurelles

L’OCDE consacre un chapitre à part entière au secteur de l’énergie et ce n’est pas un hasard. C’est dans ce secteur que s’observe le mieux ce décalage permanent entre ambition affichée et réalité opérationnelle. Les grandes entreprises énergétiques publient des données de plus en plus détaillées. Elles s’engagent sur des trajectoires d’émissions. Elles investissent dans les énergies renouvelables. Elles mettent en avant leurs projets d’innovation.

Mais ces efforts, pour réels qu’ils soient, restent prisonniers de logiques contradictoires. Les revenus proviennent encore largement des activités carbonées. Les investissements fossiles se poursuivent. Les stratégies de transition ressemblent parfois davantage à un ajustement qu’à une transformation profonde. Le rapport pointe cette tension sans détour : la durabilité se heurte ici au cœur économique du secteur.

Ce chapitre illustre un enjeu plus large. La durabilité n’est pas qu’un sujet de reporting. C’est un sujet de modèle économique. Et tant que les modèles dominants resteront fondés sur des activités incompatibles avec les limites planétaires, les progrès resteront mécaniques, mais pas structurels.

Une question d’harmonisation, mais surtout de crédibilité

L’une des limites les plus récurrentes soulevées par l’OCDE concerne la comparabilité des données. Chaque entreprise utilise encore ses propres indicateurs, ses propres définitions, sa propre manière de mesurer. Une partie de ce manque d’uniformité s’explique. Tous les secteurs ne fonctionnent pas de la même façon. Tous les pays n’ont pas le même cadre réglementaire.

Mais une part importante relève d’un problème de crédibilité. Tant que la publication d’informations durables reste volontaire dans de nombreux pays, tant qu’il n’existe pas d’obligation claire de faire vérifier ces données, la tentation du greenwashing subsiste. Des entreprises communiquent sur ce qu’elles maîtrisent le mieux et taisent ce qui leur pose problème. Le rapport ne l’affirme pas brutalement, mais tout lecteur un peu lucide le comprend.

L’OCDE suggère donc de renforcer les obligations de reporting, d’harmoniser les standards et de généraliser les audits externes. Il s’agit moins de produire encore plus de données que de produire des données fiables, comparables et utilisables.

Un enjeu stratégique pour les entreprises qui ne pourront plus rester en dehors

Le rapport envoie un message très clair aux entreprises : la durabilité n’est plus un supplément d’âme. Elle devient un critère d’accès au marché. Les investisseurs l’intègrent dans leurs évaluations. Les banques l’incluent dans l’analyse du risque. Les consommateurs, partout dans le monde, y sont de plus en plus sensibles.

Les entreprises qui ne s’engageront pas tôt risquent d’être marginalisées. Elles deviendront moins attractives financièrement. Elles seront plus exposées à la critique publique. Elles auront plus de mal à recruter. Elles seront plus vulnérables aux futures régulations, qui s’annoncent plus strictes.

On voit se dessiner une économie durable à plusieurs vitesses. D’un côté, les entreprises qui structurent leur stratégie autour de la transition. De l’autre, celles qui la subiront.

Conclusion : un rapport qui dit la vérité sans l’enrober

Le rapport mondial 2025 ne cherche pas à distribuer des bons points. Il montre un mouvement réel, solide, mais encore trop partiel pour constituer un tournant global. Les grandes entreprises ont pris de l’avance. Le reste du tissu économique suit à peine. Les marchés progressent, mais leur logique fondamentale ne change pas encore. Les cadres normatifs se renforcent, mais demeurent insuffisants pour provoquer une bascule mondiale.

L’OCDE envoie finalement un message simple : la durabilité progresse, mais elle progresse là où les contraintes sont fortes. Pour qu’elle devienne une réalité structurelle, elle doit cesser d’être portée par une minorité d’acteurs et devenir un cadre universel, lisible et vérifiable.

C’est moins un constat pessimiste qu’un avertissement lucide.

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