Par Laurent Arnou
Lorsque M. Jean-François Copé se rend à Riyad du 28 au 31 octobre 2025 pour participer au Future Investment Initiative, l’événement passe presque inaperçu en France. La séquence devient plus lisible quelques semaines plus tard, lorsque M. François Fillon est annoncé comme intervenant à l’Abu Dhabi Finance Week, prévue la semaine du 9 décembre 2025. Deux anciens responsables politiques français, présents coup sur coup dans des forums stratégiques du Golfe, dans un moment où l’Arabie saoudite accélère sa politique d’ouverture et de repositionnement économique. La proximité des dates révèle un mouvement qui dépasse les agendas individuels.
Une stratégie d’influence désormais assumée
Ces invitations s’inscrivent dans un tournant diplomatique opéré par le Royaume. Riyad ne cherche plus seulement à attirer des investisseurs ou à soigner son image internationale ; il travaille à installer durablement des relais dans les capitales européennes.
Les anciens dirigeants français, souvent reconvertis dans le conseil stratégique, représentent un levier efficace : ils connaissent les rouages institutionnels, disposent d’un capital relationnel dense et peuvent faciliter des introductions que la voie diplomatique traditionnelle peine parfois à obtenir. Leur présence dans ces forums n’est pas un geste symbolique mais un outil de politique étrangère.
Vision 2030 entre dans sa phase de vérité
L’intensification de ces contacts se comprend à la lumière du calendrier économique saoudien. Vision 2030, le programme de transformation du pays lancé en 2016, atteint un point charnière.
Les grands projets ne peuvent plus rester au stade de la communication : ils entrent dans des étapes où financements, technologies et partenaires internationaux deviennent indispensables.
• NEOM cherche à sécuriser plusieurs tours de table entre 2025 et 2026 ;
• Red Sea Global prépare l’extension de ses infrastructures touristiques pour la période 2026–2028 ;
• Qiddiya accélère après ses premières ouvertures de 2024 et 2025 ; les projets d’hydrogène vert exigent des compétences industrielles européennes.
À ce stade, la capacité à mobiliser rapidement des acteurs publics et privés est déterminante, d’où l’intérêt pour des relais politiques expérimentés.
La place singulière de la France dans la stratégie du Golfe
La France occupe un rôle particulier dans cette dynamique. Elle influence les orientations européennes sur l’énergie, l’industrie ou la régulation, ce qui en fait une porte d’entrée stratégique pour le Royaume.
Elle dispose aussi de secteurs clés dont Riyad a besoin : l’aéronautique, les infrastructures, la cybersécurité, l’énergie, l’intelligence artificielle, les technologies souveraines ou encore le luxe.
Dans un contexte mondial marqué par l’instabilité des chaînes de valeur et les tensions géopolitiques, l’Arabie saoudite cherche à diversifier ses partenariats. Les réseaux politiques français offrent un accès rapide à des milieux industriels et institutionnels qui peuvent accompagner les défis de Vision 2030.
Investissements saoudiens : entre opportunités économiques et vigilance française
La question de l’influence religieuse revient régulièrement lorsque des capitaux du Golfe circulent en Europe. Elle s’explique par l’héritage des années durant lesquelles Riyad finançait la diffusion du wahhabisme. Depuis 2017, cette stratégie a officiellement été abandonnée, au profit d’un soft power fondé sur le sport, les infrastructures, les médias et les technologies.
Les flux actuels confirment ce repositionnement. Mais en France, les services de l’État demeurent attentifs : certains financements peuvent produire des effets indirects sur des associations ou des acteurs locaux, même lorsqu’ils n’ont pas de vocation religieuse explicite.
Cette vigilance s’intègre désormais dans les mécanismes de contrôle des investissements étrangers.
Un mouvement géopolitique à suivre de près
Les déplacements de M. Copé et de M. Fillon ne constituent pas des épisodes isolés. Ils révèlent une offensive saoudienne plus large, qui combine diplomatie économique, influence politique et recherche d’ancrages européens. Le Golfe avance vite, conscient que Vision 2030 ne peut aboutir sans partenaires internationaux solides.
La France, par son poids diplomatique et industriel, se trouve au cœur de cette recomposition. Pour les entreprises comme pour les institutions françaises, ces signaux appellent une lecture attentive : l’enjeu n’est pas seulement économique, il touche aussi à la souveraineté, à l’accès aux technologies critiques et à l’équilibre des relations avec un acteur régional qui redéfinit sa place dans le jeu mondial.
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